Quel est le contexte de vos recherches ?
Depuis maintenant une quinzaine d’années, ma thématique de recherche principale concerne les « cancers pédiatriques ». J’ai exploré d’autres projets parallèles sur des pathologies adultes, mais ce sont les cancers de l’enfants sur lesquels j’ai toujours voulu focaliser mes travaux de recherche et sur ce qui fait que, justement, ce ne sont pas des cancers de l’adulte. L’idée est de mieux comprendre ces maladies et de proposer des innovations thérapeutiques adaptées à ce qu’elles sont, en prenant mieux en compte les spécificités de l’enfant.
La difficulté autour des cancers pédiatriques est que les essais cliniques y sont limités, pour des raisons éthiques mais également en raison du faible nombre de cas d’un point de vue clinique. Au cours des vingt dernières années, la prise en charge thérapeutique des cancers de l’enfant a largement évolué mais depuis quelques années les chiffres stagnent. En effet, les cas les plus agressifs ne connaissent que peu d’évolution dans les traitements et cela est une réelle problématique à laquelle il est urgent de répondre. On peut voir qu’au contraire, chez les cancers de l’adulte, cette dernière dizaine d’années a vu émerger de nouvelles approches thérapeutiques efficaces, ciblant des particularités des cellules cancéreuses ou des tissus adultes environnants la tumeur.
"Les cas les plus agressifs de cancers pédiatriques ne connaissent que peu d’évolution dans les traitements et cela est une réelle problématique à laquelle il est urgent de répondre"
Pouvez-vous présenter votre équipe ?
Notre équipe est toute jeune, puisque nous avons rejoint le CRCL en Janvier 2023 ! Elle s’appelle « Cancer neuroscience and metastasis in pediatric in pediatric malignancies » autrement dit « Neuroscience du cancer et métastases des cancers pédiatriques ».
Nous sommes quatre personnes qui sont :
- Benjamin Villalard, étudiant en thèse
- Florie Reynaud, ingénieure de recherche
- Laurine Figeac, étudiante en master
- Céline Delloye-Bourgeois, chargée de recherche au CNRS
Grâce aux appels d’offres que nous avons remportés, nous sommes donc entrain de recruter un post-doctorant et espérons étoffer rapidement notre équipe.
Quel est votre parcours et en quoi consiste vos travaux ?
Mes premiers travaux de recherche ont commencé au CRCL, sur une thématique de cancérologie « pure » qui consistait à déchiffrer de nouveaux types d’anomalies moléculaires participant à rendre une cellule tumorale. Au cours de ces travaux, j’ai travaillé et plutôt par hasard, sur un cancer de l’enfant qui s’appelle le « neuroblastome », qui est encore aujourd’hui mon modèle d’étude majeur.
En effet, en travaillant sur ce cancer au cours de ma thèse, je me suis aperçue que tous les modèles d’études que nous avions à disposition étaient très limités dans le fait de modéliser un organisme enfant et ses particularités.
A la suite de ma thèse, j’ai décidé de concentrer mes travaux sur les cancers pédiatriques, mais au lieu d’intégrer une équipe de recherche dédiée j’ai pris la décision de rejoindre en post-doctorat une équipe de recherche spécialisée en biologie du développement. Ce choix a été motivé par le fait que l’expertise requise pour créer des modèles d’étude innovants des cancers pédiatriques reposait nécessairement sur des approches expérimentales issues d’autres disciplines de la recherche scientifique.
Au sein de cette équipe, nous avons alors construit un projet qui consistait à dériver les techniques d’étude du développement de l’embryon pour modéliser au mieux les cancers de l’enfant et à terme pour mieux les caractériser, les comprendre et donc les traiter.
Plus concrètement, nous avons décidé d’utiliser un organisme très répandu en biologie du développement, qui est celui de l’embryon de poule. Le choix s’est porté sur ce dernier, notamment parce qu’au cours de la période prénatale, c’est un organisme vertébré très proche de l’homme en termes de séquences de développement, qui présente l’avantage d’être accessible à l’expérimentation directement dans l’œuf.
Nous avons alors utilisé des cellules cancéreuses de patients atteints de neuroblastomes que nous avons implantées, précisément à l’endroit d’où on sait qu’elles dérivent chez l’humain. Les résultats de l’observation ont été que, implantées au bon stade et au bon endroit, les cellules cancéreuses reproduisent dans l’embryon de poule le même comportement que chez le patient. Elles forment des tumeurs primaires au niveau des ganglions nerveux dont elles disséminent pour former des foyers métastatiques généralement observés dans la moelle osseuse et les os des patients.
Ce modèle nous permet donc de récapituler toutes les étapes précoces de la maladie, dans un temps très court, dans un organisme en développement et d’avoir un accès expérimental à toutes les phases de la pathologie.
"Nous essayons de comprendre, en quoi le développement de l’organisme influe sur la maladie & comment nous pourrions utiliser cette « relation » pour créer de nouvelles approches thérapeutiques"
Chez les patients atteints de neuroblastome agressif, ces phases précoces de dissémination sont encore largement énigmatiques car la maladie est généralement découverte à un stade très avancé, métastatique, ce qui complique la prise en charge thérapeutique. Nous pensons que les premières étapes, asymptomatiques, qui conduisent au développement d’un neuroblastome métastatique se produisent très tôt chez l’enfant, peut-être même en phase prénatale dans certains cas.
Nous avons pour but de comprendre les mécanismes impliqués dans les phases précoces du développement d’un neuroblastome métastatique, phases qui étaient auparavant impossibles à observer. Ce que nous avons déjà pu apprendre à l’aide de cette technique de modélisation c’est que les cellules qui se détachent des tumeurs primaires pour rejoindre la moelle osseuse utilisent des « routes » particulières de l’embryon : l’aorte embryonnaire, qui est le premier vaisseau formé chez l’embryon et les nerfs en cours de développement. Nos résultats montrent que lors de cette migration et au contact des différents tissus de l’organisme en développement, les cellules tumorales acquièrent de nouvelles facultés, qui peuvent notamment les rendre plus robustes et par conséquent extrêmement dures à combattre.
Ainsi, les tissus et signaux moléculaires de l’organisme jeune participent au développement du neuroblastome.
Déchiffrer le plus précisément possible les phases de la maladie et leur relation avec le développement de l’enfant, vise à terme à imaginer des thérapies plus efficaces pour soigner le neuroblastome mais aussi à préserver au mieux la qualité de vie des patients traités.
En d’autres termes, nous essayons de comprendre, en quoi le développement de l’organisme, qui se réalise en même temps que celui du cancer de l’enfant, influe sur la maladie et comment nous pourrions utiliser cette « relation » pour créer de nouvelles approches thérapeutiques.
De façon plus générale, cette technique de modélisation des cancers pédiatriques, est à la base de tous mes travaux de recherche actuels.
A présent ce modèle est déployé et adapté pour l’étude d’autres cancers pédiatriques, mais également pour des cancers de l’adulte, dans le cadre d’un autre volet de mon activité.
Votre modèle se limite-t-il aux cancers pédiatriques ?
En explorant les potentialités d’utilisation du modèle de micro-implantation dans l’embryon aviaire, nous avons découvert qu’en ciblant des tissus et stades de développement précis de l’embryon, nous pouvions obtenir une prise tumorale très efficace, pour de multiples types de cancers y compris adultes. Notre modèle peut donc être utilisé dans tout le domaine de la cancérologie et non seulement pour les cas pédiatriques, et contourne de nombreuses limitations des modèles actuels. Nous avons co-fondé la société Oncofactory, avec le Dr. V. Castellani, qui offre la possibilité de réaliser des « essais précliniques miniaturisés », où l’on peut tester l’efficacité thérapeutique de molécules sur des séries d’embryons dans lesquels des cellules tumorales de patients ont été implantées. On peut alors étudier les réponses des cellules tumorales face aux différents traitements testés. Cette technique, très rapide, est totalement novatrice.
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Sur les cancers pédiatriques - 07 sep
Le neuroblastome – mieux le comprendre pour mieux le soigner
Arrivée en 1983 au Centre Léon Bérard, Valérie Combaret a très vite rejoint l’équipe du Pr Philip, pédiatre oncologue et directeur du Centre de 1989 à 2009, pour orienter ses travaux de recherche sur le neuroblastome. Aujourd’hui, cadre biologiste, elle partage son activité entre la biopathologie et la recherche translationnelle. Elle participe depuis plus de 30 ans aux avancées des connaissances sur ce cancer.
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