Cancer du sein basal-like et cellules souches cancéreuses : l'interview du Dr Simon Aho

Aho

Rencontre avec le Dr Simon AHO, 32 ans, médecin oncologue et doctorant au Centre de Recherche en Cancérologie de Lyon, au sein de l’équipe « BMP : Ecosystème, Stemness & Dynamique du Cancer », située sur le site du Centre Léon Bérard et dirigée par le Dr Véronique Maguer-Satta.

Cancer du sein basal-like et cellules souches cancéreuses : l'interview du Dr Simon Aho Cancer du sein basal-like et cellules souches cancéreuses : l'interview du Dr Simon Aho 2024-02-05T09:37:46+01:00 2024-02-06T18:00:23+01:00 /sites/default/files/2024-02/simon_aho_2.jpg

L’équipe « BMP : Ecosystème, Stemness & Dynamique du Cancer » s’intéresse à la biologie des cellules souches cancéreuses dans différentes pathologies. Le Dr Simon Aho travaille spécifiquement sur le cancer du sein basal-like.

QU’EST-CE QUE LE CANCER DU SEIN BASAL-LIKE ?

Simon Aho : « Le cancer du sein est composé de plusieurs sous-types très différents, dont le cancer basal-like qui représente environ 15 % des cancers du sein (près de 9 000 cas par an en France). Il est nommé ainsi car il exprime intensément un groupe de gènes également exprimés par les cellules non cancéreuses situées dans la couche externe (basale) de la glande mammaire. Il exprime aussi de nombreux gènes relatifs à la prolifération cellulaire. En revanche, il n’exprime généralement pas les récepteurs hormonaux et le récepteur HER2 : c’est donc un cancer dit « triple négatif ». Environ 75 % des cancers triple négatifs sont des cancers basal-like.

Il s’agit d’une maladie agressive, touchant des femmes plus jeunes que dans les autres sous-groupes, avec des possibilités de traitements plus limitées et donc un moins bon pronostic. »

QUELLES-ONT ÉTÉ VOS REFLEXIONS ?

S. A. : « Si nous souhaitons proposer des traitements supplémentaires contre ce type de cancer, nous devons comprendre sa biologie. Or la littérature scientifique montre que les cancers basal-like sont enrichis en cellules un peu particulières, les cellules souches cancéreuses, qui semblent associées au développement tumoral. »

POUVEZ-VOUS NOUS EN DIRE PLUS SUR LES CELLULES SOUCHES ?

S. A. : « Les cellules qui constituent le sein par exemple ont une durée de vie limitée. Si elles vivent trop longtemps, elles peuvent accumuler des aberrations génétiques qui pourraient aboutir à une perte de fonction ou pire, à leur prolifération anarchique menant au cancer. Les cellules souches, présentes dans chaque organe, participent à leur bon renouvellement. Elles sont donc là pour remplacer les cellules qui meurent chaque jour.

Elles ont une capacité de renouvellement importante et se divisent en fonction des besoins. Une cellule souche normale peut donner naissance à une autre cellule souche avec les mêmes capacités, ainsi qu’à une cellule qui va se différencier progressivement en cellule spécialisée en une fonction donnée (par exemple dans le sein, une cellule productrice de lait).

Comme ces cellules souches sont essentielles à la stabilité de l’organe, elles ont une durée de vie assez longue et peuvent aussi accumuler des anomalies génétiques pouvant les transformer en cellules souches cancéreuses. Ces cellules gardent leur potentiel de réplication pour générer d’autres cellules avec les mêmes anomalies. On parle alors de cellules génitrices de tumeurs.

Le problème des cancers comme le cancer du sein basal-like, basé sur les cellules souches cancéreuse, est double :

1/ les cellules issues des cellules souches cancéreuses sont diverses et certaines sont fréquemment résistantes à certains types de traitement, d’où l’intérêt de combiner plusieurs modalités thérapeutiques (chimiothérapie, immunothérapie etc..) pour mieux contrôler la maladie.

2/ les cellules souches cancéreuses sont elles-mêmes fréquemment résistantes aux traitements classiques alors même qu’il faudrait les neutraliser spécifiquement pour éviter les rechutes. »

EN QUOI CONSISTENT VOS RECHERCHES SUR LES CELLULES SOUCHES ?

S. A. : « Nos recherches sont divisées en 2 parties. La première est l’analyse de ces cellules souches cancéreuses sous l’angle de la voie BMP.

Les BMP (par exemple BMP2, BMP4 etc…) sont des protéines produites dans l’environnement de la glande mammaire par les tissus de soutien, les cellules graisseuses etc… Nous savons qu’elles sont impliquées dans la biologie des cellules souches. Nous avons regardé le niveau d’expression de certaines de ces protéines et nous avons pu observer une présence anormale de BMP4 dans les cancers du sein basal-like. Il semble surtout y avoir dans ces tumeurs une surabondance du récepteur de BMP4, appelé BMPR1A. Nous voulons maintenant confirmer ces données en observant des coupes de tumeurs de patientes soignées au CLB.

La deuxième partie du projet est plus expérimentale. Nous testons si cette combinaison BMP4/BMPR1A conduit véritablement à transformer les cellules souches normales en cellules souches cancéreuses. Nous avons au laboratoire un modèle de cellules souches normales sur lesquelles nous avons fait des modifications génétiques pour les forcer à surexprimer le récépteur BMPR1A. Nous les exposons à long terme à BMP4 et nous regardons si au fil du temps elles acquièrent des anomalies génétiques. C’est une simulation approximative de ce qui pourrait se passer dans l’organisme des patients. À court terme, nous avons déjà remarqué que BMP4 par le biais de BMPR1A semble induire de l’instabilité génétique dans nos cellules souches. Nous souhaitons maintenant regarder si à long terme ces aberrations génétiques peuvent contribuer à les transformer en cellules souches cancéreuses. »

QUEL EST VOTRE BUT À TRAVERS VOS RECHERCHES ?

S. A. : « Le but ultime de nos recherches est de trouver des nouvelles pistes thérapeutiques. Si nous arrivons à prouver notre hypothèse, nous pourrions développer une thérapie qui ciblerait uniquement le récepteur BMPR1A et épargnerait ainsi les tissus sains autour. Mais l’application de données de laboratoire, même prometteuses, à la vie réelle, est un processus long et couteux nécessitant de nombreuses étapes de validation ultérieures. »

Le Dr Aho récompensé en 2022 par un prix de vulgérisation scientifique

À l'occasion des Journées jeunes chercheurs en cancérologie 2022 de la fondation ARC, les prix Kerner ont été attribués aux meilleurs articles grand public écrits par de jeunes chercheurs. Ils sont décernés par un jury de professionnels des médias.
Le Dr Simon Aho a reçu le 2ème prix Kerner pour la présentation de son étude sur le rôle des cellules souches cancéreuses dans le développement du cancer du sein basal-like.