Il y a 100 ans… en 1923
A la création du Centre Léon Bérard en 1923 par le Pr Léon Bérard, la chirurgie était l’unique traitement pour soigner le cancer puisque la chimiothérapie n’existait pas et la radiothérapie commençait à peine dans quelques grands centres en France comme celui de Lyon. Ce premier traitement a lui-même beaucoup évolué avec le développement depuis une trentaine d’années de la chirurgie mini-invasive, qui permet de plus petites incisions et des suites opératoires moins lourdes, à la chirurgie robotique plus récemment. « En 1923, il n’y avait pas d’antibiotiques, quasiment pas de vaccination, l’enjeu de vaincre les maladies infectieuses était alors un enjeu vital pour les patients », rappelle le Pr Jean-Yves Blay, directeur général du CLB. Le cancer ne l’était pas encore. Il le fut à partir des années 50, avec l’ordonnance de 1945 Général De Gaulle qui créa les centres de lutte contre le cancer avec leurs 3 missions constitutives : les soins, l’enseignement et la recherche.
« La recherche a depuis fait des progrès considérables. Il y a 50 ans on soignait 1 cancer sur 10, maintenant c’est 50% des cancers. On a progressé de façon spectaculaire avec les thérapies ciblées, les immunothérapies qui offrent des traitements de précision qui ciblent spécifiquement des gènes et protéines impliqués dans le développement tumoral » témoigne le Dr Patrick Mehlen, directeur du CRCL.
La prévention : l’enjeu majeur des années à venir
La question que l’on peut se poser est comment nos connaissances actuelles vont pouvoir transformer la façon dont on va agir sur les cancers ?
Béatrice Fervers, cheffe du département Prévention Cancer Environnement du CLB
"Les outils numériques et les capteurs permettront de mesurer et d’enregistrer en temps réel nos expositions. On pourra intégrer l’ensemble de l’exposome aux données moléculaires et génomiques, dans l’objectif de proposer des préventions personnalisées à chacun en fonction de son propre profil de vie et sa génétique"
De plus, on peut imaginer que l’intelligence artificielle permettra de détecter les cancers très précocement et que les autotests feront partie intégrante du dépistage. Les personnes à haut risque génétique mais aussi celles exposées à des cancérogènes pourraient se voir proposer de la « chimio-prévention » c’est-à-dire des médicaments qui visent à prévenir, retarder voire même enrayer le développement du cancer.
« La prévention des cancers dans 100 ans, c’est maintenant ! » conclut le Pr Béatrice Fervers.
Pr Jean-Yves Blay, directeur général du CLB, imagine...
"Dans les 100 prochaines années on pourra, sur la base de notre patrimoine génétique, savoir quelle maladie on risque de développer. La médecine prédictive et préventive sera très intéressante puisqu’elle nous permettra d’ajuster notre mode de vie en fonction de nos facteurs de risques."
Le rôle de l’intelligence artificielle et du numérique
« A horizon 10 ans, nous aurons déjà répondu à beaucoup de problématiques que l’on a aujourd’hui » témoigne Hugo Crochet, directeur des systèmes d’information du CLB. Par exemple au bloc opératoire, le développement de la réalité virtuelle ou de l’imagerie 3D permettra au chirurgien de bénéficier d’une reproduction virtuelle de la zone à opérer. Concernant les traitements, toutes les innovations en lien avec la médecine prédictive vont se poursuivre grâce au développement de l’intelligence artificielle. Le croisement de toutes les bases de données existantes va aussi permettre de mieux comprendre la maladie et d’en transformer radicalement la prise en charge.
La téléconsultation devrait entrer en routine notamment pour les patients qui se verront aider par de nouveaux objets numériques leur permettant de produire eux-mêmes des examens. Le lien entre les différents professionnels qui gravitent autour du patient devrait être facilité avec de nouveaux outils ou plateformes, les données des patients pourront s’échanger en temps réel entre hôpitaux, ce qui commence à être possible actuellement, notamment avec monSisra (https://www.sante-ara.fr/services/monsisra/).
Depuis quelques années, on a compris que chaque individu était différent et donc que chaque cancer était différent, parce que propre à chaque individu. Par exemple, on ne parle plus du cancer du sein mais des cancers du sein. Depuis 25 ans, on a vécu une révolution sur la caractérisation moléculaire et immunitaire des tumeurs. "En associant des traitements, on va pouvoir réaliser la caractérisation moléculaire de toutes tumeurs, ce qui permettra de connaître et de donner un traitement précis. Là encore, nous comptons sur le développement l’intelligence artificielle, qui nous permettra de détecter plus rapidement les anomalies présentes dans les tumeurs de chaque patient, et donc associer un traitement à un type de cancer très efficacement" explique Patrick Mehlen, directeur du Centre de Recherche en Cancérologie de Lyon.
L’hôpital et l’organisation des soins de demain
L’hôpital de 1923 c’est un endroit où les patients restaient longtemps et avec un projet de soin qui n’était pas aussi bien défini que celui d’aujourd’hui. La tendance pour les années à venir est un raccourcissement des durées d’hospitalisation et des soins, des traitements de plus en plus en ambulatoire.
Christelle Galvez, directrice des soins et des parcours au CLB
"On viendra à l’hôpital seulement pour recevoir des soins sophistiqués, qui nécessitent des appareils techniques, un bloc opératoire, un examen nécessitant un équipement spécifique. Mais la plupart des soins pourront seront réalisés par les infirmiers et les professionnels de ville, au plus proche du patient, à son domicile"
On peut imaginer qu’il n’y aura plus, ou très peu, de traitements intraveineux, seulement des traitements oraux qui permettront de les réaliser à domicile.
L’expérience du patient sera analysée et prise en compte, à toutes les étapes de la prise en charge afin de vérifier la qualité perçue : a-t-il bien compris ce qu’on lui a expliqué ? Est-ce que les directives étaient claires ? Le patient deviendra de plus en plus acteur de sa santé. « Nous aurons toujours besoin de cette relation avec le patient, l’empathie que l’on met dans sa prise en charge ... On va être aidés par les nouvelles technologies, l’intelligence artificielle, qui vont faciliter notre métier dans le futur mais le plus important sera toujours cette relation avec le patient » affirme Lucile Duval, interne au CLB.
Pour conclure
Dans les 100 prochaines années, l’intelligence artificielle et les outils numériques joueront un grand rôle dans la lutte contre le cancer. « Dans 100 ans le cancer sera considéré comme une maladie chronique, une condition qu’on traitera facilement, soit à l’aide de molécules soit à l’aide de robots qui nous réparerons » imagine le Dr Patrick Mehlen. En automatisant certaines tâches, en se faisant aider par des nouveaux outils, les médecins et les soignants libéreront du temps au profit du patient. « On peut parier que dans 100 ans, la cancérologie sera encore une histoire de patients, de médecins et de soignants » conclut le Pr Jean-Yves Blay.
Merci au Pr Jean-Yves Blay, directeur général du Centre Léon Bérard, à Hugo Crochet, directeur des systèmes d’exploitation, au Dr Lucile Duval, interne, au Pr Béatrice Fervers, cheffe du département Prévention Cancer Environnement, à Christelle Galvez, directrice des soins et des parcours, au Dr Patrick Mehlen, directeur du CRCL (Centre de Recherche en Cancérologie de Lyon), au Dr Patrice Peyrat, chirurgien et au Dr Olivier Trédan, oncologue médical, de s’être prêtés au jeu et d’avoir réfléchi sur le futur de la cancérologie.