Pourriez vous vous présenter et expliquer votre rôle au Centre Léon Bérard ?

Bonjour, je m’appelle Nicolas Foray et je suis radiobiologiste. J'étudie tous les aspects des effets biologiques des radiations. Également, depuis 2019, je suis co-directeur d’une unité de recherche qui a été fondée avec l’INSERM et avec le ministère de la Défense et qui s’appelle l'U1296 avec des partenaires tels que le CNES et Lyon 2. La particularité de cette unité est d’abord qu’elle est basée sur plusieurs endroits, qui sont le Centre Léon Bérard et Brétigny sur Orge dans la région parisienne où se trouve le service de santé des armées.

Dans cette unité, nous traitons de tout ce qui concerne les radiations mais de façon très vaste. Nous sommes basés au CLB et nous travaillons avec les radiothérapeutes, les radiologues et les médecins nucléaires du CLB.

Le département Prévention Cancer et Environnement de Béatrice Fervers fait également pour moitié partie de l’unité, d’ailleurs B. Fervers est co-directrice de notre unité pour tout ce qui concerne l’environnement. Les radiations sont aussi traitées d’un point de vue social avec les psychologues sociaux de Lyon 2. Cette partie est très importante car unique dans un département de radiologie. Et ce qui est intéressant dans ce volet social, ce qu’il comprend tout ce qui est perceptions du risque, droit et réglementation et puis l’histoire des sciences. C’est dans ce dernier cadre qu’a été développé mon livre.

Quelle est la raison de l’écriture de ce livre ?

L’écriture de ce livre est directement liée au volet social de l’unité de recherche U1296. Victor Despeignes est une grande figure de la radiothérapie pourtant parfois méconnue. Son histoire est très intéressante et permet de comprendre les origines de ce traitement et comment il l’a découvert presque « par hasard ». Retracer ce parcours avec précision a été un travail très long mais également passionnant ! J’ai pu rencontrer des descendants de Victor Despeignes qui m’ont permis d’accéder à de nombreux documents ou photos. L’écriture de ce livre a donc pris aussi une tournure très humaine.

Qui est Victor Despeignes ?

Victor Despeignes est un lyonnais né en 1866. C’est un médecin « hygiéniste » qui s’intéresse beaucoup aux méthodes de Pasteur. Il se spécialisera dans l’étude des microbes, et cherchera à faire appliquer les règles élémentaires au grand public.

Suite à différents évènements, que vous pourrez découvrir dans mon livre, il quitte la recherche scientifique et Lyon pour s’installer en Savoie. Il garde contact avec des médecins lyonnais, et s’intéresse notamment aux rayons X pour tenter de soigner un cancer de l’estomac, qu’il pense être une maladie bactérienne détectée chez l’un de ses patients. En 1896 il irradie son patient, et constate une diminution de la tumeur.

On ne le découvrira que plus tard mais en réalité, si les rayons ont aussi bien marché ce n’est pas que son patient souffrait d’un cancer de l’estomac mais qu'il souffrait d’un lymphome gastrique qui est en fait très sensible aux rayons, d’où la réussite de cette première « radiothérapie ».

Malheureusement, 20 jours après le début du traitement le patient décède. À la suite de cela, Victor Despeignes décrit ses résultats dans le « Lyon médical » qui est un journal médical de la région lyonnaise.. Mais certains scientifiques lyonnais ne vont pas croire à son expérience et vont décrédibiliser sa découverte.

À la suite de ces critiques, Victor Despeignes décide alors d’arrêter ses recherches sur les rayons X. Il redevient hygiéniste à Chambéry et va créer notamment les premiers carnets de santé et premiers « HLM ». Il décède dans son laboratoire en 1937 des suite très probablement d’un ulcère.

Le travail sur les rayons X de Despeignes sera vite oublié car dans un premier temps, le caractère « unique » de son expérience ne la rendra pas vraiment valide aux yeux des scientifiques . Pire, aux États-Unis et 30 ans plus tard, c’est Emile Grube qui s’approprie la découverte de la radiothérapie ! Cependant son mensonge a quand même été découvert.

Ce que l’on peut souligner, c’est l’incroyable chance de Victor Despeignes, qui s’est trompé de diagnostic en confondant un cancer de l’estomac avec un lymphome gastrique, qui est une tumeur très radiosensible ! Et également le fait qu’il ait intuitivement fractionné le traitement ce qui n’a pas brûlé le patient !

Malheureusement on sait aussi que c’est la radiothérapie qui a tué le premier patient de Despeignes, car la diminution très rapide d’une tumeur nécessite une évacuation rapide des déchets par le sang, or la radiosensibilité de la tumeur était telle que le patient est probablement mort d'un empoisonnement du sang : c'est ce qu'on appelle un syndrome de lyse tumorale. Victor Despeignes est donc l’un des premiers pionniers de la radiothérapie dans le sens où il l’a initié, mais pas réellement inventé. Celui que l’on peut considérer comme l’inventeur de la radiothérapie est aussi un lyonnais et il s’appelle Claudius Regaud, il fera d’ailleurs sûrement l’objet du prochain livre...

Pour vous, quel est le lien entre votre métier de chercheur et votre passion d’historien ?

L’histoire de la radiothérapie importe beaucoup sur les découvertes actuelles.

La relecture des pionniers nous permet de mieux comprendre, grâce à leurs descriptions extrêmement bien faites, nos observations.

Leur travail est un vrai outil pour nous aujourd'hui et étudier l'histoire, donc le passé nous amène à mieux aborder le futur.