Témoignage : Eve-Marie, aide-soignante au Centre Léon Bérard et malentendante

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A l'occasion de la journée internationale des personnes en situation de handicap le 3 décembre, nous sommes allés à la rencontre d'Eve-Marie, aide-soignante dans un service du Centre Léon Bérard et malentendante profonde. Comment vit-elle son handicap au travail ? Comment son travail est il adapté ?

Témoignage : Eve-Marie, aide-soignante au Centre Léon Bérard et malentendante Témoignage : Eve-Marie, aide-soignante au Centre Léon Bérard et malentendante 2021-12-03T10:05:42+01:00 2021-12-03T14:57:18+01:00 /sites/default/files/2021-12/eve-marie-paysage-v-finale-bd.jpg

"Bonjour, je m’appelle Eve-Marie, je suis aide-soignante au CLB depuis 6 ans, actuellement au 3BS .

J’ai une particularité qui me différencie de mes autres collègues AS : je suis malentendante profonde, appareillée, pratiquant la lecture labiale et la Langue des Signes Française.

Au quotidien, je prends en charge des patients cancéreux, en post-urgence, avec des symptômes multifactoriels, à différents stades de leur maladie. Je réalise les mêmes actes que n’importe que(le) autre aide-soignant(e) : palier aux besoins perturbés des patients, travailler en binôme AS/IDE, répondre aux sonnettes, etc...

Mais pour ma part, cela nécessite davantage de vigilance, d’efforts pour la communication avec les patients et mes équipes.

 

Dans ma fonction d’aide-soignante, il existe une multitude d’activités que je réalise, avec les collègues, auprès des patients, pour lesquelles mon poste n’est pas adaptable, soit ne nécessite pas d’être adapté : mon handicap ne m’empêche pas de pratiquer une toilette, d’accompagner un patient, d’apporter des soins, de transmettre mon savoir-être et mon savoir-faire, d’apporter du soutien et du réconfort .

La principale difficulté est d’entendre et comprendre ce qui peut avoir été dit oralement par n’importe qui. Néanmoins, tout cela n’est pas nouveau pour moi. Pour palier à cet handicap, outre l’appareillage auditif, j’ai développé une grande capacité à la compréhension de l’expression faciale et corporelle des personnes et la pratique de la lecture labiale, ce qui est un plus dans la prise en charge des patients laryngectomisés ou ne pouvant vocalement s’exprimer.

Aujourd'hui, avec la pandémie et la mise en place des gestes barrières, le port du masque est très pénalisant pour pratiquer la lecture labiale. C’en est même épuisant car je dois redoubler d’efforts de compréhension au quotidien .
Alors, ma cadre m’a proposé de former mes collègues à la langue des signes française. Ce que j’ai fait !

 

Je me dois de dire qu’il n’y a pas de handicap mais DES PERSONNES handicapées. Ce sont des êtres humains, avec des émotions, des ressentis, chacune étant différente pour un même handicap. Chacun a une perception différente des personnes handicapées : qui n’a jamais tourné son regard en croisant ou en voyant une personne handicapée ? A l’inverse dans mon cas, c’est invisible. Les gens ne détournent pas le regard mais il arrive que des personnes préfèrent s’adresser à mes collègues qu’à moi-même. Ce qui est dévalorisant et humiliant pour moi.

Dans le milieu du travail, comme partout ailleurs, il existe des actions de sensibilisation au handicap, avec mises en situation des personnes «valides» : «Tu prends ma place, tu prends mon handicap». Selon moi, il serait nécessaire que la langue des signes française soit enseigné dans les établissements au même titre que n’importe quelle autre langue.

Au quotidien, lorsque je parle avec les patients et les collègues, je décline mon identité, ma fonction et m’excuse d’être amenée parfois à leur faire réitérer leurs propos car je suis malentendante. La plupart du temps, les personnes l’acceptent très bien, sont compréhensives et chacune des parties fournit des efforts pour que la communication soit effective et compréhensible (s’exprimer face à moi par exemple, en parlant normalement avec un débit calme).

Avec les avancées technologiques, je dispose d’une prothèse auditive supplémentée d’un système d’amplification de la parole, directement transmise à ma prothèse, dont le CLB a fait l’acquisition.
Les choses se compliquent lors des réunions en grand comité : une personne malentendante rencontre des difficultés à suivre plusieurs auditeurs à la fois. Même avec le meilleur système d’amplification, cela reste compliqué et nécessite d’être complété par des sous-titrages. Là encore, le CLB me finance un logiciel de sous-titrage en direct par intelligence artificielle « AVA » que mes collègues ont téléchargé sur leur portable, pouvant ainsi me parler sans baisser leurs masques.
Mais comme vous l’avez vu lors des premiers discours de notre président de la République au début de la pandémie, le sous-titrage en direct nécessite beaucoup de correction. C’est d’autant plus le cas dans notre milieu qui utilise un langage médical et thérapeutique comprenant beaucoup d’abréviations, d’acronymes…

"Mon handicap ne m’empêche pas de pratiquer une toilette, d’accompagner un patient, d’apporter des soins, de transmettre mon savoir-être et mon savoir-faire, d’apporter du soutien et du réconfort "

Au-delà du handicap, la surdité est souvent liée à l’image de personnes âgées. Nous perdons plus ou moins de l’audition avec l’âge. Or, en cancérologie, les traitements peuvent altérer l’audition : je suis souvent obligée d’instaurer un «vrai dialogue de sourds» !! La plupart du temps, nous en rions avec les patients.

Quand chacun accepte mon handicap, tout se passe bien. Mais ce n’est pas toujours le cas, ce qui est d’autant plus regrettable quand cela vient d’un autre professionnel de santé...

Entre nous, il y a des situations où faire semblant de ne pas entendre m’arrange bien...Mais chut , c’est un secret de sourd, même si ma chef et mes collègues ne sont pas toujours dupes !"