Questions à l'expert : immunothérapie et cancers digestifs
Christelle de la Fouchardière, cancérologue au sein de l'Unité d'oncologie digestive, répond à nos questions
Depuis quelques années, l’immunothérapie revient sur le devant de la scène pour le traitement des cancers.
Chaque année, à l’occasion des grands congrès mondiaux celui de la Société américaine d’oncologie qui se déroule à Chicago ou celui de la Société Européenne qui s'est déroulé en septembre à Madrid, le nombre de communications traitant de cette thérapie va croissant. Au Centre Léon Bérard, de nombreux essais sont ouverts aux inclusions, notamment pour la prise en charge des cancers digestifs.
Qu’est-ce que l’immunothérapie ?
Dr Christelle de la Fouchardière : L'immunothérapie est une méthode de traitement destinée à stimuler les moyens de défense naturels de l'organisme, soit par l’apport d’anticorps spécifiques (immunothérapie passive), soit par un vaccin qui provoque la production de ces anticorps (immunothérapie active). Dans le traitement contre le cancer, l’immunothérapie a pour objectif d’aider l'organisme ou plus exactement le système immunitaire à combattre la maladie en lui permettant de faire la différence entre les cellules saines et les cellules cancéreuses et en éliminant celles qui sont cancéreuses.
Dans quel cadre ce traitement concernent-ils les cancers digestifs ?
Les tumeurs qui présentent un grand nombre de mutations sont particulièrement immunogènes et réactives à ce type de traitements. Ce sont par exemple les mélanomes, les cancers du rein et de la vessie, les cancers bronchiques et ORL ou les tumeurs caractérisées par une déficience des gènes de réparation des mésappariements de l’ADN (dMMR) telles que celles entraînées par le syndrome HNPCC, cancer du côlon héréditaire non polyposique.
Les tumeurs colorectales déficientes dans ces gènes de réparation (dMMR) sont rares. Elles ne représentent qu’environ 15% des cancers colorectaux localisés et une proportion encore moindre des tumeurs métastatiques (5 à 8%). Elles peuvent être provoquées par une mutation d’un gène de réparation de l’ADN, transmises héréditairement (syndrome de Lynch ou HNPCC) ou acquises. D’autres tumeurs digestives (de l’estomac, des voies biliaires ou de l’intestin grêle) peuvent également présenter un phénotype dMMR. C’est dans ce cadre que nous pouvons proposer à nos patients de les inclure dans des essais thérapeutiques, notamment des essais de phase précoce.
Quels sont les traitements proposés au Centre Léon Bérard ?
Dans le département de cancérologie digestive et des essais de phase précoce du Centre Léon Bérard, plusieurs molécules sont en cours d’évaluation, en monothérapie ou en association : certaines chez des patients sélectionnés (cancers avec instabilité microsatellitaire) et d’autres chez des patients non sélectionnés. Ces traitements sont proposés par les médecins au cours de la consultation. Les patients peuvent également nous être adressés par les médecins libéraux ou d’autres hôpitaux.
En savoir plus : Lexique de l'immunothérapie en cancérologie
Mutations : anomalies génétiques qui sont capables de transformer une cellule normale en une cellule cancéreuse ; le nombre et le type de ces mutations varie d’un cancer à l’autre. Cela peut expliquer des différences d’efficacité des traitements.
Immunogènes : Capables d’être reconnus par le système immunitaire et donc d’entrainer une réaction de défense du système immunitaire contre les cellules cancéreuses.
Déficience des gènes de réparation des mésappariements de l’ADN (dMMR) : Dans l’ADN de chaque cellule, il existe des gènes qui sont chargés de contrôler l’absence d’erreur lors de l’assemblage de l’ADN (« les mésappariements »). En cas d’erreur identifiée, une cellule normale est capable d’interrompre son activité pour réaliser les réparations nécessaires ; une cellule normale est même capable de s’autodétruire si les réparations ne peuvent être corrigées. Certaines tumeurs peuvent présenter des déficiences de ces gènes de surveillance et de réparation de l’ADN : on appelle cela la « déficience des gènes de réparation des mésappariement » ou « dMMR » (acronyme anglais pour deficient MisMatch Repair).
Instabilité microsatellite (ou MSI) : le statut MSI est recherché sur des biopsies d’une tumeur ou sur une pièce opératoire et correspond à l’accumulation d’anomalies visibles sur l’ADN en raison d’une déficience des gènes de réparation des mésappariements de l’ADN (dMMR)
Liste des essais concernant l’immunothérapie dans la prise en charge des tumeurs digestives ouverts au CLB
BMS CA209-9GW : Etude de phase I évaluant l’association Nivolumab + Daratumumab (antagoniste CD38, propriétés immuno-modulatrices) chez des patients porteurs d’un ADK du pancréas ayant reçu au maximum 1 ligne de traitement préalable, avoir des cibles mesurables RECIST et biopsiables ainsi qu’une albuminémie supérieure à 30g/L.
BP29427 : Etude de phase Ib d'escalade de dose, multicentrique, en ouvert, avec une phase d'extension, évaluant l’association EMACTUZUMAB (inhibiteur du CSF1-R) + RO7009789 (Ac monoclonal agoniste du CD40) administrés par voie IV toutes les 3 semaines en association chez des patients atteints de tumeurs solides avancées (cohorte cancer gastrique).
BP29427 : Etude de phase Ib d'escalade de dose, multicentrique, en ouvert, avec une phase d'extension, évaluant l’association EMACTUZUMAB (inhibiteur du CSF1-R) + RO7009789 (Ac monoclonal agoniste du CD40) administrés chez des patients atteints de tumeurs solides avancées (cohorte cancer colorectal).
EMR 100070-001 : Essai de Phase I, en ouvert, à doses multiples croissantes, visant à évaluer l’AVELUMAB (Ac anti PD-L1) chez des patients atteints de tumeurs solides métastatiques ou localement avancées, avec extension dans des indications sélectionnées (cohorte cancer colorectal métastatique).
EMR 100070-001 : Essai de Phase I, en ouvert, à doses multiples croissantes, visant à évaluer la sécurité d’emploi, la tolérance, la pharmacocinétique, l’activité biologique et clinique de l’AVELUMAB (Ac anti PD-L1) chez des patients atteints de tumeurs solides métastatiques ou localement avancées, avec extension dans des indications sélectionnées (cohorte cancer gastrique et de la jonction œsogastrique).
MEDIPLEX : Etude de Phase I en phase d’extension, évaluant la tolérance et l'activité anti-tumorale d’une combinaison thérapeutique associant DURVALUMAB (anti-PD-L1) et PEXIDARTINIB (anti CSF1R) chez des patients atteints d’un cancer colorectal ou du pancréas à un stade avancé ou métastatique(pas plus de 3 lignes antérieures pour les cancers du côlon).
MK3475 KeyNote 177 : Étude de phase III randomisée dans les adénocarcinomes coliques métastatiques MSI-H ou dMMRcomparant un traitement par PEMBROLIZUMAB IV toutes les 3 semaines versus une chimiothérapie standard. Une chirurgie des métastases et autorisée après réponse au traitement.
NOVARTIS CPDR001X2103 : Etude de phase Ib, en ouvert, multicentrique, évaluant l'innocuité, la tolérance et la pharmacodynamique de PDR001 (anti-PD-1) dans les cancers colorectaux métastatiques associé à :
Canakinumab (Ac anti-IL-1β) ou
CJM112 (anti-IL-17A) ou
Trametinib (inh Mek1, Mek2) ou
EGF 816 (inh EGFR).
SABR PDL1 : Etude de phase II visant à évaluer l’efficacité d’un traitement d’immunothérapie anti PD-L1 (atezolizumab) administré en combinaison avec la radiothérapie stéréotaxique chez des patients présentant des tumeurs métastatiques (dont les cancers colorectaux en échec des traitements recommandés avec au moins 1 métastase mesurable selon RECIST 1.1 et éligible pour un traitement par radiothérapie stéréotaxique).
TRANSGENE TG4001-12 : Etude de phase I évaluant l’association anti PD-L1 (avelumab) + TG4001 (immunothérapie active par vecteur viral exprimant les séquences codant pour les Ag tumoraux E6 et E7 de HPV-16 et pour l’interleukine 2) dans les carcinomes épidermoïdes du canal anal.